Les psychiatres sont débordés : des millions de « Charlie » viennent de débarquer aux portes de tous les asiles du pays. Tous sont « Charlie ». « Qu’ils reprennent leur putain de vraie identité ! », hurle un infirmier excédé. Mais déjà, à peine enfermés, les « Charlie » se battent entre eux : Charlie n°38455 a dit que « l’islam, ça craignait grave » à Charlie n°67492, qui, lui, ne cesse de crier depuis son arrivée dans le service « pas d’amalgames ! ». Les coups fusent, malgré les efforts conjugués de Charlie n°28457 et Charlie n°78492 pour les séparer. « Arrêtez, nous sommes tous unis, nous sommes Charlie », crient-ils pour essayer de raisonner les deux premiers. Rien à faire : l’unité commence déjà à s’effriter. « Chantons la Marseillaise, nous sommes tous frères », suggère encore un autre Charlie plein de bonnes intentions. « Ta gueule ! », lui répondent en cœur ses camarades… Et tout le monde s’en est allé.

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Pourtant, j’y étais, moi aussi, à cette grande manifestation du 11 janvier 2015. J’ai marché, j’ai traversé la foule, silencieux, un peu impressionné par la densité du cortège. Et je me suis lassé. À côté de moi, une jeune femme a tenté de m’expliquer que Tariq Ramadan était un personnage autrement plus brillant que Caroline Fourest. J’ai failli rire et puis je me suis rappelé qu’elle disposait d’une circonstance atténuante : elle aussi était probablement une « Charlie »… Sauf qu’elle trouvait que les caricaturistes de l’hebdo allaient parfois trop loin au sujet d’Allah. Drôle de dame. Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer !

Charlie (11 janvier 2015)

Je rêvais de slogans inspirés, de dessins drôles, sublimes, provocateurs à souhait, pas de timides applaudissements agrémentaient d’une sempiternelle Marseillaise, le tout enveloppé d’un sentiment de fraternité circonstancielle … I’M BORED ! Au lieu de ça, on a juste marché. Très majoritairement entre blancs. Elle est où la diversité que j’imaginais ? Il est passé où l’esprit irrévérencieux de ces caricaturistes géniaux disparus ? Soyons clairs : un Charlie aseptisé, je n’en veux pas. Un humour ligaturé par une pensée correcte, qui n’offenserait personne, il en est hors de question. De l’huile sur le feu, n’ayons pas peur d’en mettre ! Et qu’ça chauffe, Marcel !

Ce dimanche après-midi, qu’ont-ils fait, ces gens, en agitant des drapeaux tricolores jusqu’à l’épuisement, qu’attendaient-ils sinon la France ? Cette France qui, soudainement, redevient, grâce à l’éruption spontanée d’émotions communes parmi ses citoyens, une nation éternelle dans l’imaginaire collectif. Oubliée la crise économique, oubliés les conflits idéologiques et politiques. Tout le monde s’aime. C’est beau. Foule sentimentale…

Pourtant déjà, les observateurs s’interrogent : Et demain, que va-t-on faire ? Car le véritable enjeu se situe dans le futur du monde sur lequel on a déjà lancé les paris. Chacun y va de son petit pronostique. Hollande, Juppé, Sarkozy, Le Pen, Mélenchon, ou quelqu’un d’autre, à qui profiteront ces crimes ? Probablement pas au peuple, ces humains malléables, frustres et sauvages à l’état naturel, qui ne peuvent s’émanciper que dans la socialisation, et donc via la politique. Nom de Dieu, on est mal barrés !

Terroriser les terroristes, en voilà un bel objectif ! Mais qui sont-ils, les assassins ? Comment fabrique-t-on ces cons ? Je n’en sais rien. À vrai dire, je n’y comprends rien. « Nous sommes en guerre contre le terrorisme », nous explique-t-on. Or, je ne sais pas à quoi ça ressemble, moi, un terroriste. Alors je me contente d’imaginer, en prenant soin d’éviter les amalgames. « À la guerre, il est important de savoir reconnaître l’ennemi. Car, sans ennemi, la guerre est ridicule », disait Pierre Desproges. Et ridicule, j’ai peur de l’être puisque je sais que je ne sais rien. Et vous aussi vous devriez éprouver cette crainte.

Notre contemporanéité est merdique, soyons honnêtes. Alors faisons comme si nous allions tous mourir demain pour que l’on puisse enfin s’affranchir des contraintes de nos existences. Il n’y a que dans un testament qu’on devient libre, qu’on déshérite les vivants, qu’on les honore ou qu’on les ignore. La création exige de se sacrifier, c’est évident. Mais ne soyons pas défaitistes, tout espoir n’est pas perdu pour nous ; « les époques dégueulasses sont propices aux chefs-d’œuvre », disait Wolinski, conscient du monde qu’il nous laisserait. Blasphémer/jurer/provoquer/critiquer/moquer mais aussi construire/détruire/subir/écrire et surtout mourir : nous les slashers* ne connaissons pas la peur ! Dieu est mort, n’ayons donc aucun remord : bâtissons ensemble un futur exalté ! À force de jouir, nous oublierons de souffrir.

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* Le terme « slasher » désigne une nouvelle génération de personnes qui occupent plusieurs emplois simultanément. « Slasher » désigne aussi un sous-genre du cinéma d’horreur.

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