Turquie : le combat entre l’islamisation et la laïcité continue

Solène Pascal 03/06/2013 0
Au troisième jour de leur mouvement, les manifestants turcs ont maintenu dimanche 2 juin la pression sur le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan en occupant la place Taksim d’Istanbul, tandis que de nouveaux incidents ont éclaté dans la capitale Ankara. Est-ce le début d’un « Printemps Turc » ?

Le peuple reproche au premier ministre de vouloir « islamiser » le pays en construisant une mosquée. Plusieurs milliers de personnes continuaient tard dans la soirée à manifester contre le gouvernement islamo-conservateur dans le quartier résidentiel de Kavaklidere, à Ankara, après avoir été brutalement délogées plus tôt par la police de la place centrale de Kizilay de la capitale. « Personne ne veut de toi Tayyip », scandaient les protestaires à Ankara.Le combat sur les espaces urbains surligne les questions sur l’identité turque où les questions difficiles de religions, de classes sociales, et de politique se croisent. Le changement de paysage symbolise en quelques sorte le combat entre l’islam contre la laïcité, les urbains et les ruraux.

Edhem Eldem, un historien à l’Université Bogazici à Istanbul, a critiqué le gouvernement pour entreprendre des projets de développement à grande échelle sans chercher des recommandations du peuple. « Dans un sens, ils sont ivres avec le pouvoir. » a-t-il dit. « Ils ont perdu leurs réflexes démocratiques et retournent à ce qui est l’essence de la politique turque : autoritarisme. »
Le gouvernement a quant à lui déclarer ne pas vouloir céder à la provocation de quelques personnes. Paroles qui ont été perçues comme une provocation par la population.

La Turquie laïque deviendrait-elle islamiste ?

« Oui, nous allons aussi construire une mosquée. Et je ne vais pas demander la permission du président du CHP (Parti républicain du peuple, principal parti d’opposition) ou à une paire de pilleurs pour le faire », a-t-il lancé, « ceux qui ont voté pour nous nous ont déjà donné l’autorité pour le faire ».

Alors qu’en début de mandat le Premier Ministre turc Recep Tayyip Erdogan se montrait pro-occidental et modéré, son attitude actuelle le mue de politicien conservateur mesuré en islamiste franc et direct. Sont-ce ses espoirs déçus de n’être pas accepté au sein de l’Union Européenne qui l’ont rapproché d’une position plus doctrinale ? Est-ce simplement un retour aux sources après un bref flirt côté Ouest ? En tout cas, ces derniers mois, Israël a été le premier à subir les conséquences de ce retournement. Au fait qui est réellement Tayyip Erdogan et que cachent ses revirements?

Il clame alors être favorable à la fois à l’adhésion de la Turquie à l’OTAN et à l’entrée de son pays au sein de l’Union européenne. Erdogan exprime encore son souhait d’introduire des changements dans les lois régissant les partis politiques et les élections afin de permettre à la Turquie d’être « plus démocratique et pluraliste » selon ses dires.

En 2002, dans sa campagne électorale, le futur Premier Ministre turc milite déjà en faveur du port du foulard islamique par les femmes dans la sphère publique, prohibé jusqu’alors selon la constitution laïque du pays. Lorsque son parti (Le Parti pour la Justice et le Développement – AKP) gagne les élections de novembre 2002, Erdogan ne peut devenir Premier Ministre à cause de son emprisonnement passé. Un rapide amendement constitutionnel lui ouvre le chemin du parlement et lui permet d’être nommé chef du gouvernement début 2003. Erdogan semble alors désavouer ses anciennes positions islamiques dures et tente de se montrer comme un conservateur pro-occidental. Mais beaucoup restent sceptiques face aux changements politiques d’Erdogan. Les laïcs et les généraux de l’armée, garants de la Constitution, voient la nouvelle attitude modérée d’Erdogan avec suspicion, alors que son passé et sa loyauté envers les valeurs islamiques séduisent la majorité des musulmans pieux délaissés jusque là par l’Etat. Erdogan affirme pourtant que son parti ne cherche pas à instaurer un Etat basé sur la religion. Qu’en est-il au juste ?
En 2008, le parlement passe un amendement qui lève l’interdiction du foulard - signe religieux longtemps contesté en Turquie - sur les campus universitaires. Les opposants de l’AKP renouvellent leur accusation contre le parti qui viole le caractère laïc de la sphère publique.
Dans son agenda politique, Erdogan poursuit ses vues islamistes et provoque encore une fois l’élite laïque du pays en cherchant à faire des diplômés des écoles religieuses les équivalents des diplômés de l’enseignement classique lors des admissions à l’université.
La position d’Erdogan apparaît de plus en plus menacée lorsqu’un projet de loi de l’opposition vise à démanteler l’APK et à bannir Erdogan ainsi qu’une douzaine d’autres membres de son parti de la vie politique pour 5 ans. Mais il réussit encore une fois à manœuvrer pour maintenir sa position grâce à l’aide de juristes récemment nommés à la Cour Constitutionnelle, celle–ci rejetant le projet d’éviction du Premier Ministre. Bien plus, Erdogan cherche à modifier la Constitution pour pérenniser son parti au pouvoir.

Pour beaucoup, il a aussi créé le sens du ressentiment - pour des résidents de longue date, des intellectuels urbains et beaucoup de membres des classes sous-prolétariat qui sont poussées de leurs maisons pour que des complexes de logement haut de gamme et des centres commerciaux puissent être construits.

Mais qu’en est-il de la situation à l’heure d’aujourd’hui ?

Erdogan se retrouve obligé de lâcher du lest suite aux violences entre civils et policiers qui ont fait plusieurs centaines de blessés et provoqué l’arrestation de plus de 1.700 manifestants dans toute la Turquie.
Confronté à l’un de ses plus importants mouvements de contestation depuis l’arrivée de son parti au pouvoir en 2002, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a ordonné aux forces de l’ordre de se retirer en milieu d’après-midi dimanche dernier de la place et du petit parc Gezi, dont la destruction annoncée a lancé la révolte. Immédiatement, des milliers de personnes ont envahi les lieux dans une immense clameur de victoire en défiant le chef du gouvernement aux cris de: «Nous sommes là, Tayyip. Où es-tu ?». A la nuit tombée, la place Taksim était toujours noire de milliers de personnes qui chantaient et dansaient avec l’intention d’y rester toute la nuit. Aujourd’hui la situation semble s’être apaisée et les lieux se vident peu à peu, ce qui contraste avec la violence inouïe dont la police à fait preuve contre les manifestants quelques heures plutôt en toute impunité…

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