Culture

« Say Watt ? » : Sound System et culte du son à la Gaité Lyrique

Vincent Bonhomme 09/07/2013 0
Je me suis rendu à la Gaité Lyrique pour l’exposition « Say Watt ? » consacrée aux Sound Systems. Une immersion au coeur de l’underground musical jamaïcain.

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Le haut parleur politico-artistique

Pour ceux qui ne connaissent pas, un Sound System c’est un peu comme une salle de concert, mais ambulante. Le terme anglais désigne le matériel de sonorisation utilisé pour des soirées de rues. En marge et souvent mal connu, le concept est né dans les ghettos jamaïcains et s’est popularisé à la fin des années 50 à Kingston. Plus tard, les Sound Systems se sont développés dans les pays dits instables: le Dj (ou l’organisateur) n’avait qu’à se pointer avec son matos, et pouvait faire payer un petit droit d’accès et installer un petit point de vente de nourriture et d’alcool.

Suite à l’émigration de nombreux Jamaïcains vers l’Angleterre, les Sound Systems se sont peu à peu implantés en Europe. Ils ont fini par se propager dans plusieurs pays en s’adaptant aux différents styles de musiques locales: d’abord ska, rocksteady, reggae, dub, puis raggamuffin ou ragga (Jamaïque oblige), pour tendre ensuite à des musiques plus électroniques, comme les « raves », et autres repères de « Punks à chien ».

De Kingston à Belém, de France en Colombie en passant par le kenya, des cultures radicalement différentes ont adopté cette culture underground, grâce à une nuée de bricolages savants et de bidouillages ingénieux. Souvent pour faire passer des messages, en utilisant le Sound System comme un haut-parleur artistique, musical, voire politique.

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« Say Watt ? », le culte du sound system

Du 21 juin au 23 aout, une exposition entièrement consacrée à la culture Sound System se tient à la Gaité Lyrique. j’ai voulu en savoir un peu plus sur cet univers underground. je suis donc allé faire un tour sur place.

Globalement, l’exposition se fait assez rapidement (en trois quart d’heure c’est plié). Au programme ? Installations artistiques, photos, vidéos et expériences sonores.

La visite commence par la petite salle insonorisée du premier étage: on pénètre dans un sas bleuâtre et ultra-lumineux, dans lequel sont diffusés des watts plein les amplis, traduits sous forme de vibrations. Elaborée par Soundwalk Empire, un collectif New Yorkais, la structure est censée retranscrire les vibrations et les fréquences du célèbre club berlinois, « Berghain ». Honnêtement, je ne m’y attarde pas trop: ça brûle les yeux et rapidement, ça fout la gerbe.

En sortant de cette micro-pièce, on accède à un long couloir où sont placardées des tonnes d’affiches de concerts d’époques. On trouve de tout : de la communication visuelle du Jamaicain Denzil « Sassa » Naar aux flyers de la Hip Hop Library de l’Université de Corneel…

photo 51 Say Watt ? : Sound System et culte du son à la Gaité LyriqueLa seconde étape du parcours rend hommage aux icônes de la street culture jamaïcaines, en commençant par l’exposition d’un véritable sound system du producteur King Tubby, restauré par Jeremy Collingwood. Il y a quinze ans, ce compilateur de raretés reggae (pour les labels Island, Pressure sounds, etc…) a décidé de sauver ces mythiques hauts-parleurs »V Rocket » de l’arrière-cour dans laquelle elle pourrissait depuis des années. C’est devenu par la suite sa principale occupation: il acquiert et redonne vie à des sounds systems légendaires, pour que les gars des générations futures puissent encore jouer dessus.

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L’installation est appuyée par une série de clichés pris par Beth Lesser, une canadienne qui s’est aventurée dans les bas fond du Kingston des années 80. J’ai pu admirer également quelques pochettes de vinyles, édulcorées et assez drôles, de Wilfried Limounious. Le gars ne le savait pas encore quand il les a faite, mais ses affiches deviendront cultes (dans ce milieu), et iront jusqu’à inspirer certains artistes de nôtre époque. D’ailleurs, les couleurs et les personnages font étrangement penser à certaines pochettes de Major Lazer…

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Do The Right Thing

La troisième partie nous plonge le Bronx des 80′s: l’univers des Boombox, Ghettoblasters et autres icônes des block-parties, ces fêtes de rues qui ont illustré la naissance du hip hop.

Plus loin, des représentations géantes de sound systems en carton sont exposées, sortes de trompes l’oeil utilisés pour attirer les foules par certains DJ qui n’avaient pas les moyens de se payer du vrai matos, ou encore l’empilement de bibliothèques Billy d’Ikea, détournées en totem d’enceintes, faisant ainsi un clin d’oeil à Babylon et à la société de consommation.

Le point commun entre toutes ces installations ? La prédominance du son, bien sûr, et le culte dédié aux enceintes assemblées entre elles comme un mur, façon totem pour lequel on entretient un profond respect.

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Seeeque! : larsens et autres horreurs sonores

La visite touche presque à sa fin. Place aux « expérimentations » (un grand mot pour pas grand chose). En plein milieu de la salle on retrouve « Seeeque! L’igloo Improbable »: un cocon semi-sphérique composé d’enceintes « low Fi ». Alexis O’Hara, l’artiste à l’origine de l’oeuvre, aime jouer avec les larsens (le sifflement insupportable produit lorsque un micro et un haut parleur sont à proximité) dans ses performances live, et avec cette cabane stéréophonique, invite les visiteurs à essayer par eux même. Bizarrement, à l’interieur, on s’y sent bien, presque apaisé.

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Art Of Failure

On change clairement d’ambiance. Bercé depuis le début de la visite par des lignes de basses sucrés, le visiteur se prend d’un coup en pleine gueule, une torture sonore. Depuis 2006, le collectif Art Of Failure enregistre les fréquences de résonance de bâtiments atypiques, comme des tours métalliques, des éoliennes et autres abominations architecturales, pour les faire interagir entre eux. L’oeuvre en question est constituée de trois écrans géants, qui diffusent des images de zones industrielles allemandes. C’est glauque, c’est moche mais quelques choses se passe. On est presque attiré par la pièce, par les vibrations qui s’en dégage. Mais ce que veut réellement montrer Art Of Failure, c’est comment le son peut se transformer en arme, en instrument de torture.

La cerise sur le guetto

Peut-être la meilleur partie de l’exposition. Le visiteur pénètre dans une salle rectangulaire, dont trois des quatre murs sont des écrans géants. Le principal diffuse un extrait du film « Babylone » de 1981. Scénarisé par Martin Stellman (Quadrophenia, 1979), ce long-métrage raconte l’histoire de Blue, un jeune rasta perdu dans la société anglaise Thatcherienne qui ne le comprend pas, pas plus qu’elle n’a su assimiler sa vague d’immigration jamaïcaine depuis la décolonisation de l’île en 1962. Chômage, flics bien racistes, voisins et patrons xénophobes: une aggression quotidienne qui pousse le jeune chanteur à s’évacuer dans les Sound Systems. Sur les côtés, deux autres écrans représentent des hauts-parleurs géants qui interagissent avec l’extrait du film. En quelques secondes, on se retrouve dans les bas-fonds londoniens, au premières loges d’un Sound Systems jamaïcain.

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SAY WATT? LE CULTE DU SOUND SYSTEM L’EXPOSITION
Du 21 juin au 25 août 2013 à la Gaité Lyrique / Tout public

 

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