C’était Grace Jones (et sa vie en rose) qui, le 5 mars 1978, inaugurait le Palace. L’aventure n’aura pas duré longtemps, juste le temps du premier septennat de François Mitterrand. En 1983, la mort de Fabrice Emaer plonge le petit frère parisien du club 54 de New York dans une sorte de coma pré mortem. Trois ans plus tard, au retour d’une soirée, Alain Pacadis meurt, étranglée à son retour chez lui par sa copine transsexuelle : c’est officiellement la fin de la récréation pour toute la clique qui avait ses habitudes rue du Faubourg-Montmartre. Le fléau du Sida, et “Paca” qui disparait, c’est une époque qui se termine, celle que Fabrice Emaer avait inventé.
Les années dorées
À l’origine du Palace, il y a Fabrice Emaer et Michel Guy. Secrétaire d’Etat à la culture sous Valery Giscard d’Estaing, le successeur d’Alain Peyrefitte était en plus un fidèle du 7. En 1976, il met Emaer sur la piste du Palace, et en favorise le rachat. Après de somptueux travaux, le club ouvre. Directement, c’est un succès.
Tous les soirs à la porte, les gens se bousculent pour y rentrer. Jenny Bel Air, la physionomiste la plus sévère de Paris, officiait à la l’entrée du club. Son œil impitoyable filtrait, de manière dure mais magnanime, qui pouvait franchir « les portes du paradis. » « J’étais impitoyable » explique-t-elle.
Paquita Paquin, l’autre physionomiste raconte d’ailleurs que la priorité était de choisir des personnalités atypiques, de sorte que l’ambiance à l’intérieur soit un savant mélange d’éclectisme et d’originalité. C’était ça la force du Palace : le mix des genres.
Alors qu’aujourd’hui (comme avant 1978 d’ailleurs) les tribus se regroupent quasiment exclusivement entre elles pour festoyer (les gays dans les boites gays, les mondains au Baron, etc…), Fabrice Emaer avait réussi à faire de ce lieu le théâtre (comme il disait) à la croisée de tous les destins . Les politiques conversaient avec les chanteurs, Gainsbourg trinquait avec Antoine Blondin, bref, tout le monde s’aimait, ou presque.
Celui qui a offert au Palace sa place dans la mythologie des nuits parisiennes, c’est Alain Pacadis. Perdu à la fin du Punk, « Paca » a retrouvé vie quand le Palace a ouvert. Régulièrement, le « dandy punk » racontait ses soirées dans sa chronique pour Libération, Nighclubbing. Plus qu’un simple journal intime de clubber, les articles de Pacadis étaient de véritables échantillons de littérature avant-gardiste, agissant comme des relais de la Beat Generation en France. Seule sa plume si conformément hors des normes pouvait retranscrire avec authenticité l’esprit du lieu. «On peut tout faire au Palace sauf penser», écrivait-il.
Et puis, il y a eu Le Privilège, à partir de 1980, qui était une sorte de club privé à l’intérieur même du Palace où « l’élite » avait ses habitudes. C’est la thèse et l’antithèse : une boite pour tous (au sens littéral du terme) et au sous sol, un carré pour habitués. Mais qu’importe, tout le monde y trouvait son compte.
« Triste présent »
Un jour, le rêve a pris fin. Régine a bien tenté de reprendre le flambeau, sans succès. En 1996, le Palace n’est plus qu’un vulgaire squat où seuls demeurent les fantômes du passé, accrochés aux lustres poussiéreux, immortalisés sur des photos désormais jaunies. Le déclin du projet utopique de Fabrice Emaer a sonné la fin de la folie à la parisienne.
Amère, émue, Jenny Bel Air parle de cette époque avec nostalgie. Mais le plus délicat pour elle, c’est le présent. « La nuit parisienne, ce n’est plus qu’un déballage de fric. Tout est question d’argent, de carré VIP » regrette « la princesse de Bel Air. »
En bref, « les espaces VIP ont tué la nuit » résume Jenny. La nuit actuelle, à l’image de la société tout entière, est hiérarchisée : les pauvres debout avec leurs verres, les riches assis avec des bouteilles. Même si « la nuit ne finira jamais » explique l’éternelle physionomiste, la « lumière s’est éteinte ».
Un jour peut être, un nouveau prince de la nuit, une sorte de réincarnation de Fabrice Emaer, rallumera la flamme des noctambules de la capitale.
Seulement, à l’époque, les gays « étaient » la nuit, ils incarnaient la créativité. Takada Kenzo, Pierre Bergé, tous ont marqué leur époque de leur personnalité. Aujourd’hui, une majorité d’homosexuels n’aspirent désormais plus vraiment à inventer : leurs rêves d’union conforme ont brisé, un peu, leur désir d’exister dans l’extravagance et le génie.
Des New York Dolls au Stinky Toys, l’esprit entier d’une époque traversait l’Atlantique : rien n’était matérialisé, tout était rêvé, mais les rêves étaient la réalité, même artificielle. Ian Dury et sa voix justement fausse incarnait les fantasmes de son temps : le plaisir de jouir constamment associé à la souffrance quotidienne du poids de la vie.
« Il faut sortir, paraître à toutes les fêtes, rire d’un rien, tuer d’un regard, et tout ceci est bien réel. Une minute d’inattention et vous êtes morts » écrivait Alain « Junky but chic » Pacadis. Tel le parfait témoin d’une époque si complexe à décrypter, « Paca » avait compris l’importante de vivre ses rêves, même si les cauchemars sont récurrents.
Récemment vendu, transformé en salle de théâtre, nettoyé de ses fantômes du passé, le Palace est désormais rentré dans le rang. Dans le quartier, les théâtres sont légion, et la devanture du 9 n’est plus qu’une pâle copie des édifices voisins, où seules quelques comiques s’égarent, histoire de faire rire un public souvent indiffèrent à l’histoire des lieux. Si aujourd’hui, on va au Palace pour réfléchir ou se distraire, c’est bien la seule chose permise. AGAIN! « On peut tout faire au Palace sauf penser » résumait Pacadis. Désormais, c’est l’inverse…
C’est fini. Flash’on, kiddies…
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Prochainement, retrouvez sur Roads Magazine une série d’entretiens exclusifs avec « ceux qui ont fait » Le Palace.