Dans la République Islamique d’Iran, l’alcool est prohibé et on ne peut pas parler de tolérance zéro puisque les consommateurs risquent des coups de fouets, la prison voire la peine de mort en cas de récidive. Pourtant, les Iraniens sont de gros buveurs, l’alcoolisme et le trafic ravage le pays
Le Los Angeles Times a mené une investigation sur la situation. La prohibition de l’alcool a fait naître un marché noir d’une taille incommensurable. Les estimations évoquent plus de 200 000 trafiquants et 800 millions de dollars américains sont dépensés chaque années dans cette économie parallèle. La police a aussi enregistré une augmentation de 69% des quantités d’alcool saisies.
En Iran, du temps du Shah, l’alcool était consommé par la population perse à l’instar des sociétés occidentales. En 1979, le Révolution a interdit sa vente pour renouer avec une culture islamique. Aujourd’hui, des fêtes secrètes sont organisées par les élites à Téhéran. Les classes moins aisées quant à elle consomment des breuvages distillés « maison », l’alcool est le plus souvent frelaté. Des dizaines de personnes meurent ainsi chaque année. Les bouilleurs de cru amateurs utilisent parfois des produits chimiques très toxiques.
Métier : revendeur d’alcool
Le trafic étant très lucratif et la demande forte, des revendeurs parcourent le pays. Le LA Times a suivi un d’entre eux à Téhéran, « L’essentiel de la semaine, Mohsen peut être croisé au volant de son ancienne Peugeot, à tourner dans la capitale avec une de ses proches, en train de se faire passer pour un père qui fait du shopping avec sa fille. Mais ses courses consistent à livrer du vin et de la bière faits maison ou de la vodka et du whisky de contrebande à des clients disséminés partout dans la ville« .
Le journal rapporte que l’homme travaille de jour. La nuit, la police morale patrouille pour intercepter les rondes des trafiquants. Mohsen est un ancien professeur âgé de 59 ans. Pas vraiment le profil du criminel type. S’il est attrapé par la police, il risque très gros.
Un crime passible de la peine capitale
En Iran, le hors la loi de la boisson peut avoir une amende de plusieurs milliers de dollars, une peine de prison et des coups de fouets pour avoir « bafouer » les règles de l’Islam. Mais certains sont parfois condamnés à mort, le gouvernement considère la consommation d’alcool comme un péché et un crime. La « tolérance » à ses limites, au bout de la troisième condamnation pour consommation d’alcool, c’est la peine capitale. Selon Fox News, deux habitants d’une province au Nord ont été victimes de cette répression extrême.
Pour Amnesty International, ces peines capitales sont disproportionnées, “La consommation d’alcool ne peut être classée comme un des “crimes sérieux » internationalement reconnus comme des crimes capitaux. » « Ils font des exemples pour monter qu’ils sont sérieux au sujet de ces infractions« , indique Mehdi Semati, auteur de Media, Culture et Société en Iran : vivre avec la globalisation et l’état islamique.
L’Etat reconnaît officiellement l’ampleur du problème
La raison de ce changement de communication est simple mais alarmant, l’alcoolisme et surtout la fabrication sans contrôle d’alcool frelaté sont devenus un véritable risque sanitaire. Fin du deni public et début de la reconnaissance d’un problème de santé national.
Le co-ministre de la Santé Baqer Larijani a déclaré en mai dernier, « Nous recevons parfois des rapports d’hôpitaux et de médecins sur la consommation d’alcool dans les quartiers du sud de Téhéran. Y vivent des gens à faibles revenus, ce qui est un souci« . Cette annonce est une première dans le pays. Un haut responsable reconnaît enfin publiquement un problème lié à la consommation d’alcool. Baqer Larijani est aussi le frère du président du Parlement, une des plus hautes fonctions de la République Islamique.
Lors d’une cérémonie en marge de la Journée Internationale contre les Excès de Drogues et les Traffics Illicites, le ministre de la Santé Marzieh Vahid Dastjerdi indiquait que le gouvernement a « préparé une feuille de route pour traiter le problème de l’alcoolisme et réduire la consommation de boissons alcoolisées dans la société.«
Alcool, héroïne et opium, symptômes d’un pouvoir religieux ?
Hossein Ghazian est un sociologue Iranien et ancien directeur de l’Ayandeh Research Institute. Il a déjà été incarcéré dans la prison d’Evin en 2002 pour « vaste propagande à l’encontre de la République Islamique d’Iran ». Il était invité récemment à l’Université de Syracuse. Selon lui, l’augmentation de la consommation de boisson est liée avec le pouvoir islamique. « Si beaucoup de personnes consomment de l’alcool, cela signifie que la population n’est pas aussi islamisée que veut bien le dire le gouvernement, et dans ce cas pourquoi tolèrerait-elle un gouvernement islamique ?« . Il ajoute, »Ce sont de vrais problèmes sociaux, et non pas juste des problèmes théologiques ». Pour le spécialiste, l’islamisation de la société est remise en question, « dans un certain sens, c’est un aveu d’échec de la part du gouvernement… échec à réguler tous les aspects de la vie sociale, où les gens et les vieux seraient d’accord pour vivre selon le code de la République islamique. »
L’Iran est aussi en proie d’autres problèmes de toxicomanie. Proche de l’Afghanistan où transitent les pavots et l’héroïne à destination de la Russie, les statistiques officielles rapportent qu’il y aurait environ 1,2 millions de consommateurs d’opium et d’héroïne. Certaines ONG estiment que ces chiffres sont sous-évalués. L’alcool serait même considéré comme une alternative à ces addictions encore plus dangereuses.
Pour les détracteurs de Téhéran, c’est la preuve que la théocratie iranienne est imposée par la force et ne génère que des troubles sociaux. Cette position est à relativiser. Les pays occidentaux ou encore la Russie ont les mêmes problèmes dans des proportions bien plus inquiétantes. De plus, les sociologues affirment de concert que la crise financière qui ravage les économies occidentales provoque une paupérisation propice à l’augmentation de consommation de drogue.
Pour plus d’informations, voici un rapport mondial des drogues très complet publié par l‘ONUDC en 2005.