La 3ème révolution industrielle passera-t-elle par le « Made in France » ?

Raffael Enault 28/11/2012 0

Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a estimé il y a quelques semaines que la troisième révolution industrielle de la France passerait obligatoirement par le Made in France.  »La France a fait la première révolution industrielle, (et, ndlr) la deuxième. Elle fera la troisième autour du Made in France », a-t-il déclaré à l’occasion de l’inauguration du premier salon grand public dédié aux produits fabriqués à 100% dans l’Hexagone.

M. Montebourg estime d’ailleurs que pour favoriser le patriotisme économique, il faut aider et même assister les consommateurs dans leurs choix. « C’est pour cela que j’ai demandé aux enseignes de la grande distribution de mettre du tricolore dans leur linéaire pour que les consommateurs s’y retrouvent », a-t-il déclaré avant d’ajouter:« il y a un patriotisme économique qui ne demande qu’à s’exprimer. Les Français sont prêts à payer un tout petit peu plus cher dès lors que c’est produit sur le territoire français » Il le sait bien: le patriotisme permet de rétablir un dialogue avec l’électorat populaire.

Pourquoi ? Parce que les électeurs sont en demande de protection contre la mondialisation, qu’ils assimilent à la crise. Le ministre a par ailleurs fustigé la productions chinoise en la qualifiant de  »consommation jetable » et très éloignée de « la qualité et du savoir-faire français ».

Lors d’une visite à l’usine Renault de Cléon, Arnaud Montebourg n’a pas hésité à réaffirmer sa volonté de produire français et son attachement au label « Made in France »: « Je voudrais qu’on parle en bien de la France. Je voudrais que nous soyons fiers de nous-mêmes, que nous défendions notre base industrielle nationale. […] Pour que la France se redresse, nous devons tous faire preuve de ce patriotisme économique ».

C’est quoi le patriotisme économique?

D’après Elie Cohen interrogé à ce sujet il y a quelques, deux écoles historiques du patriotisme économique sont en concurrence : la première fondée sur la défense de l’attractivité du territoire s’oppose à une seconde privilégiant la nationalité et l’identité du capital.

Mais «  la France a fait le mauvais choix de soutenir quelques champions industriels au détriment de l’attractivité de son territoire  » assure l’économiste. « Une prise de contrôle par un étranger se traduit par une augmentation très importante de la productivité de l’entreprise ; ces gains de productivité sont reversés pour partie aux salariés et sans être obtenus par des réductions d’effectifs  » a-t-il conclu.

Le concept a originellement été théorisé par un ancien député UMP du Tarn, Bernard Carayon, qui l’a défini dans l’ouvrage « Le patriotisme économique » en 2006 (Editions du Rocher). M. Carayon va d’ailleurs bien au-delà de la défense du « made in France ».

Pour l’auteur, ce patriotisme doit prendre la forme d« une politique publique globale d’identification de nos vulnérabilités, de nos atouts, de mutualisation dans l’action. Vouloir protéger nos entreprises, ce n’est pas édifier un « mur de l’Atlantique » ou une « ligne Maginot ». C’est simplement, avec méthode et en s’appuyant sur nos alliés européens, s’inspirer des dispositifs de nos concurrents ».

Effectivement, il s’agit bien là d’un concept un peu plus complexe que l’expression populiste et entrainante dont use et abuse Arnaud Montebourg…

Pourtant, à en croire le ministre, le patriotisme économique serait un véritable remède miracle à la morosité des entreprises. Fabriquer et consommer français, c’est l’argument ultime en temps de crise pour sauver les entreprises, les emplois, et du même coup, rassembler ses concitoyens autour du drapeau dans un énorme élan economico-fédérateur.

Un problème dans l’air du temps qui ne date pas d’hier…

« Le patriotisme économique, il faut le pratiquer mais pas trop en parler « avait déclaré il y a quelques années Zaki Laïdi, professeur à Sciences Po et ancien conseiller de Pascal Lamy. Le Made in France est-il une « vraie ou fausse bonne réponse à la mondialisation  » ? Sous le contrôle et l’expertise de Philippe Manière, Zaki Laïdi, Elie Cohen et Christine Lagarde - à l’époque Ministre déléguée au commerce extérieur- ce groupe de spécialistes s’était penché sur cette expression hautement polémique depuis que Dominique de Villepin avait déclaré: «  je souhaite rassembler toutes nos énergies autour d’un véritable patriotisme économique. Je sais que cela ne fait pas partie du langage habituel mais il s’agit bien de (…) défendre la France et ce qui est français « .

À l’époque, le monde des affaires avait déjà accueilli cette déclaration avec une très grande méfiance. En réponse à cette conception du patriotisme économique plutôt défensif - car fondé sur la dissuasion des investisseurs étrangers de prendre le contrôle des entreprises françaises - deux jeunes chercheurs avaient retravaillé le concept pour en identifier les forces et les faiblesses. Augustin Landier, professeur à New York University et David Thesmard, professeur associé de finance et d’économie à HEC avaient publié pour l’Institut Montaigne un article prônant un patriotisme économique  » plus offensif  » qui reposerait sur une réforme du système financier français «  pour que les épargnants français redeviennent les actionnaires des entreprises françaises  ».

À l’époque, les grandes entreprises française n’étaient plus vraiment la propriété de gaulois car celles-ci étaient «  possédées de manière disproportionnée par des actionnaires étrangers  » dénonçaient les deux jeunes chercheurs dans leur rapport, tout en relevant que près de 45 % du capital des entreprises du CAC 40 appartenaient à des personnes qui ne résidaient pas en France.

Dans le contexte de l’époque, parler de patriotisme économique offensif revenait à prôner une diffusion plus massive de la propriété à la population française: les français avaient pour consigne d’investir et de se ré approprier leurs entreprises. «  La priorité d’un gouvernement qui croit au  » patriotisme économique  » devrait être de faire de ses citoyens, via la bourse, les propriétaires de leur économie.  »Seulement, avec quelques années de recul sur ce rapport, cela parait nettement plus facile à dire qu’à faire: les investisseurs français n’ont globalement plus vraiment les moyens de rivaliser avec leurs homologues étrangers.

Ailleurs, c’est comment?

« It’s time for a new Economic Patriotism ». « Il est temps d’appeler à un nouveau « patriotisme économique » ». C’était la petite phrase qui concluait l’un des clips de campagne de Barack Obama. Un clip intitulé « The Table », absolument brillant, en termes de communication politique, où le Président américain s’exprimait face caméra et s’adressait aux électeurs « comme si [il était] dans votre salon ou autour de la table de la cuisine ». Barack Obama veut donner l’impression que le pays se redresse, qu’il maîtrise la situation et que l’avenir va sourire à l’Amérique, bref, qu’il y a de l’espoir.

La « démondialisation » d’Arnaud Montebourg était clivante et marquée idéologiquement alors qu’au contraire, le « patriotisme économique » est rassembleur et presque centriste alors qu’en fait, c’est presque la même chose à part que François Hollande y a ajouté sa touche diplomatique personelle. Il rejoint le désormais célèbre «Achetez Français» de François Bayrou - l’homme à l’Audi. Désormais partagée des deux côtés de l’Atlantique, cette volonté de repli sur soi même traduit un désir anti-mondialiste des peuples occidentaux en réponse au mondialisme forcené des décennies précédentes.

Si la France a les moyens de ré industrialiser son économie en jouant la carte du patriotisme, il se pourrait qu’elle ne soit pas le seul pays à s’engager dans cette direction. À l’instar des États-Unis ou de l’Allemagne , l’hexagone a les moyens de prendre son destin en main.

Une révolution encore au stade embryonnaire

Au début des années 2000, la troisième révolution devait être propulsée par internet. Ce n’était pas tout à fait erroné: la conjonction de l’Internet et des énergies renouvelables au xxie siècle donne lieu selon Jeremy Rifkin à une Troisième Révolution Industrielle. (TRI) Face à ses rivals, la France pourra-t-elle imposer sa griffe? C’est certains tant les entreprises françaises sont encore compétitives. Seulement, de la à dire que la TRI passera toute entière par l’hexagone, cela parait nettement moins certain.

Comparé à d’autres pays comme la Chine, l’Inde ou les États-Unis, la France n’a pas les moyens de rivaliser en terme de capacité de production et d’investissement. À défault de pouvoir prétendre à la première place, la France a une chance de rester parmi « les nations qui comptent » à condition qu’elle sache conserver un certain savoir-faire gaulois sans en expatrier les capitaux.

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